Aidante d’un malade d’Alzheimer : « ce mot pèse une tonne. Il rime avec aimante, patiente, chiante, présente, déprimante, battante” p 10.
Pourquoi écrire un livre sur la maladie d’Alzheimer de son père ?
- Pour témoigner du quotidien qu’il faut affronter.
- Pour donner quelques astuces de survie à ceux qui en ont besoin.
- Pour évacuer les ressentis, les sublimer surtout.
- Pour témoigner d’un morceau de vie au service d’un être cher.
C’est ce qu’Aude Ceccarelli, auteure et coach professionnelle en écriture, réalise dans cet ouvrage Sans boussole, traversée en Alzheimerland. Elle le fait à la manière d’un récit de voyage. C’est son 4ème livre.
Il semble légitime de se poser cette question : qui va le lire ?
- Les aidants, les premiers concernés sans doute. Pas si sûr qu’ils aient forcément envie de se replonger dans un quotidien qu’ils ont peut-être envie de quitter momentanément.
- Les anciens aidants qui veulent revivre en connivence les émotions passées ? Peut-être.
- Ou bien simplement des lecteurs attentifs aux témoignages humains, ceux-là même qui rêvent également de voyages en contrées lointaines.
Car Sans boussole, Traversée en Alzheimerland, nous emporte dans l’accompagnement d’un homme, un ancien marin, dont la vie faite de rencontres et de traversées se limite désormais à « un départ qui n’en finit plus » p 11. Mais c’est avant tout un voyage en territoire aidant.
“Non, je ne pourrai plus jamais compter sur lui, son aide, ses bons et mauvais conseils, sa présence rassurante et autoritaire.” p 36
Les mythes s’effondrent souvent dans la banalité du quotidien. Ce père, qui dans la force de sa vingtaine s’affiche fièrement en photo avant d’embarquer sur un bateau vers Manille, Sydney, Nouméa, ou Tananarive n’existe plus. Il n’est plus ce marin insatiable mais l’homme qui peine à suivre l’agenda familial qui rythme désormais sa vie. Les escales de ses voyages s’enkystent dans l’impossible remplissage du lave-vaisselle, mission qu’il réalisait il y a peu avec expertise et obstination. Comme un cap à tenir.
Cet homme fragile, tels les fragments cassés d’un vase ancien qu’on tente de recoller. Les séjours de vacances en famille sont propices à la recherche de ses souvenirs, aux tentatives de retour d’une perception perdue de ce père admiré. Archéologue convaincue de l’impossible mission de réparation, Aude Ceccarelli témoigne de sa traversée d’une contrée proche d’un être devenu si lointain.
“Non papa, on n’est pas en croisière en Méditerranée… on est à Vittel, dans les Vosges, regarde tout ce vert autour de toi.” p 90
Être aidant, c’est s’exposer au douloureux constat du ministère de la Santé qui affirme que 50 % des aidants sont susceptibles de contracter à leur tour une maladie chronique. Peu rassurant pour Aude Ceccarelli qui avoue parfois se sentir malade, de l’avoir « attrapé au vol ».
Son témoignage des groupes de soutien et des séances de relaxation offre une lecture réaliste de ce qu’est cette posture d’aidant. Partagée entre le désir de vivre et celui d’accompagner, elle se sent aspirée dans un monde où elle trouve sa légitimité. « Plus d’envie comme celles si égoïstes et hédonistes dont on s’enivre, juste celle d’écrire sur l’homme qu’il ne sera plus » p 73.
Sa boussole s’oriente désormais vers une nouvelle raison d’espérer. L’accompagnement de son père est un voyage dont elle veut sortir grandie. Sa passion du voyage qui lui a été inculquée par ce père admiré reste intacte. Chacun dans un voyage y trouve ce qu’il cherche : soi, l’autre, l’espoir, l’humanité, la fuite. Le naufrage n’est pas inéluctable, même si l’issue en est connue.
“J’ai préparé notre Ehpad tour.” p 93
Que reste-t-il de ce père lorsque ses pertes s’accentuent, que son allure s’estompe dans ses vêtements trop grands ? Cet homme qui perd tout et erre sans but. Mais aussi les pertes de l’auteure, de ses illusions de guérison de ce père baroudeur, des tendres moments partagés qu’elle ne retrouvera plus.
Perte de l’homme qu’il a été, du déni de la maladie d’Alzheimer, de la place de fille à celle d’aidante. Et comment oublier la promesse faite de ne jamais le mettre en maison et vivre avec cette culpabilité : « sentiment gluant, pesant, d’avoir trahi son proche » p 130.
Aude Ceccarelli avoue ses manques avec talent dans une écriture touchante qui parle à tous ceux qui ont vécu ce voyage et les autres. Elle retrace tous ces moments douloureux qui monopolisent l’existence des accompagnants, les doutes qui s’immiscent au quotidien lorsque ceux qu’on aime larguent les amarres et partent à la dérive.
Sans astrolabe ni boussole. « Lève les voiles, disait-il. Regarde droit devant et avance. Sans te retourner » p 135. Un beau témoignage d’amour face à la maladie d’Alzheimer.
Propos recueillis par Marc Chevallier
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