Aidons les aidants, osons l’Aidance : rencontre auteurs
« Il faut savoir écouter les aidants dans leurs besoins ». C’est l’un des messages de Jean Bouisson qui a coécrit un livre avec Valérie Bergua : Aidons les aidants, osons l’Aidance, aux Éditions In Press. Jean Bouisson est retraité, grand-père et président de l’association Vivre Avec. C’est un ancien psychothérapeute dans un centre spécialisé et professeur et psychogérontologie. Il est d’ailleurs l’auteur de plusieurs ouvrages sur ce sujet. Valérie Bergua, quant à elle, est maître de conférence dans la même spécialité à l’université de Bordeaux. Elle est également coresponsable d’un master de psychologie et de santé publique, ainsi que d’une licence professionnelle de « technicien coordinateur de l’aide psychosociale à l’aidant ».
De quoi parle votre livre « Aidons les aidants, osons l’Aidance » ?
Valérie Bergua : Aujourd’hui, on décompte 11 millions d’aidants en France, mais ils sont sûrement bien plus nombreux. On a souhaité écrire cet ouvrage pour montrer que l’aidance va au-delà du fait d’être un aidant. Beaucoup d’aidants ne sont pas visibles, beaucoup également, ne se reconnaissent pas comme des aidants. Des aidants que l’on peut identifier et reconnaître au travers des dispositifs et des institutions connus. L’ouvrage aborde la question de l’aidance à travers différents temps (au moment d’une maladie grave, dans des périodes de rémission, lors de troubles psychiques chez l’enfant, chez l’adulte mais aussi chez la personne âgée dans le cadre de la démence…).
Jean Bouisson : À force de travailler avec les aidants, on s’est aperçus qu’il serait bien de voir les choses autrement. Lorsque l’on parle d’aidant, on parle surtout du lien entre l’aidant et l’aidé. Dans le cadre de la relation aidant/aidé, il y a aussi une multitude d’acteurs qui interviennent plus ou moins selon la sévérité de la maladie. Ces acteurs, eux-mêmes, interviennent dans des structures. C’est à partir de là que l’idée de l’aidance a germé. À savoir qu’au lieu de parler simplement de l’aidant seul, il est important d’essayer de prendre en charge toutes les personnes qui tournent autour de l’aidant, en l’aidant dans sa globalité.
À qui s’adresse-t-il ?
Jean Bouisson : Le livre s’adresse à un très large public. En plus de l’aidant, il y a beaucoup d’autres personnes concernées. Il y a les professionnels, les proches, les structures, les organismes… Quasiment toute la population française est concernée par cette problématique, ou le sera, ou l’a été.
Pour écrire ce livre, qui avez-vous sollicité ?
Valérie Bergua : Pour pouvoir écrire cet ouvrage, nous nous sommes d’abord appuyés sur notre expérience clinique, car nous sommes aussi psychologues. Nous avons une expérience dans des structures différentes. De là sont tirés beaucoup de témoignages qui sont fictifs mais avec une partie de réalité. On s’est également appuyés sur notre réseau et notre travail en collaboration avec des professionnels, notamment Olivier Fréset qui a corédigé un des chapitres de ce livre et qui est à l’initiative d’une équipe de soutien aux aidants à domicile. De nos connaissances théoriques puisque l’on fait aussi de la recherche. On actualise nos connaissances scientifiques de ce domaine-là.
Jean Bouisson : On a aussi des professionnels comme Nancy Guberman, professeure du travail social au Québec, qui a écrit la préface de notre premier livre. Le concept de l’aidance, je l’ai aussi travaillé avec un juriste qui est Thierry Meneau. Il y a pas mal d’acteurs professionnels qui ne sont pas que sur le terrain ou dans le domaine de la psychologie.
« Lorsque je faisais des conférences sur les aidants, systématiquement dans la salle, il y avait au moins une personne qui se levait à la fin en étant très en colère en disant « moi, je ne me sens pas aidant, je refuse ce mot ». » – Jean Bouisson
Vous parlez de « solidarité de la santé et du bien-être ». Pour vous, quels sont les acteurs qui pourraient agir en interdépendance avec l’aidant et l’aider pour sa santé et son bien-être ? Comment aller au-delà de l’aidance spécialisée ?
Jean Bouisson : Dans le livre, on parle des solidarités chaudes et froides. Les solidarités de la santé et du bien-être regroupent les deux. Les solidarités chaudes ce sont celles qui sont les plus proches de nous, l’aide au quotidien. Les solidarités froides sont les grands organismes qui s’occupent de nous comme les mutuelles dont nous n’avons pas toujours conscience du travail de fond qu’elles font pour nous.
Valérie Bergua : Lorsqu’on définit les solidarités chaudes et froides, on se rend compte à quel point cela concerne une multitude d’acteurs différents que ce soit des proches aidants eux-mêmes, des proches de proches aidants, des aidants principaux, des aidants secondaires… Il s’agit aussi des bénévoles, des professionnels au sens très large du terme, car on côtoie des professionnels de tous types (aide à domicile, infirmière…). Les aidants devraient d’abord être abordés par le biais du territoire parce que si on les aborde dans un territoire alors on sort des frontières, des systèmes, des institutions qui existent. Et on arrive à repérer des aidants, d’autres types d’aidants, d’autres types de problématiques et d’autres types de réalités à des temps différents.
Que faut-il retenir des différents témoignages (comme celui de Madame F.) ? Comment un aidant peut-il s’en inspirer ?
Jean Bouisson : D’abord, il faut écouter les aidants dans leurs besoins. Beaucoup d’aidants ont besoin d’être informés et même avant d’être écoutés.
Valérie Bergua : Il y a beaucoup de choses à mettre en place, mais ce qui nous semble important c’est le fait qu’il n’y ait pas de solutions systématiques. Ce qui est important c’est de considérer la situation de chacun et donc de savoir écouter les besoins de chacun, ses attentes mais aussi ses non-besoins. Car il y a des aidants qui n’ont pas besoin d’aide, pas besoin de plus que ce qu’ils ont déjà mis eux-mêmes en place. Donc les aidants peuvent s’inspirer de ces situations, en prenant conscience que la situation de chacun est singulière et la leur aussi et que ce qu’ils mettent en place est déjà important et suffisant parfois. Et prendre conscience qu’il y a aussi des dispositifs et des professionnels qui peuvent les aider s’ils en ont besoin.
Pour vous, à quel moment pouvons-nous nous sentir aidant ?
Jean Bouisson : Si vous avez lu le baromètre des aidants qui paraît chaque année, vous pourrez voir qu’en France le mot « aidant » progresse un peu. Mais il y a encore énormément de Français qui ne savent même pas de quoi il s’agit quand on parle d’aidant. L’autre problème, ce sont les personnes que l’on pourrait penser aidants, mais qui ne se reconnaissent pas comme telles. Lorsque je faisais des conférences sur les aidants, systématiquement dans la salle, il y avait au moins une personne qui se levait à la fin en étant très en colère en disant « moi, je ne me sens pas aidant, je refuse ce mot. C’est un devoir pour moi, ça n’a rien à voir avec le mot aidant ». Ils se sentaient stigmatisés lorsqu’ils étaient appelés aidants. La réalité des aidants n’est pas simple. Il y a différents types d’aidants, différentes sortes d’aidances. Tout le monde ne ressent pas l’aide qu’il donne de la même manière et l’aide qu’il reçoit de la même manière selon comment il est entouré d’un milieu familial, de proches…
« Beaucoup d’aidants ne sont pas visibles, beaucoup également, ne se reconnaissent pas comme des aidants. » – Valérie Bergua
Dans votre livre, vous parlez de la relation parents/enfants et de l’inquiétude que certains peuvent avoir concernant l’évolution de leurs parents. Pour vous, peut-on s’y préparer ? Si oui, comment ?
Jean Bouisson : Cela vous arrivera inévitablement d’être aidant avec votre famille. Généralement, cela se passe au niveau intragénérationnel, dans les familles. C’est-à-dire que les enfants s’inquiètent pour leurs parents et les parents s’inquiètent pour leurs enfants. Souvent, il n’y a pas d’échange entre ces générations-là, elles s’inquiètent l’une pour l’autre. C’est au sein de l’association « Vivre Avec » qu’on en a pris conscience, en suivant les étudiants et les seniors qui vivaient ensemble. On s’est aperçus que chez les enfants, des années avant, on s’y préparait. Parfois, il y a des conflits. Il y a une question de prévention à mettre en place, à construire, à apprendre aux gens. Il y a des gestes importants, d’autres, plus toxiques, et ça vaudrait le coup de préparer tout ça.
Valérie Bergua : Il y a aussi des phases « d’anté-aidance » dans lesquelles les personnes entre elles ne se disent pas nécessairement que l’une ou l’autre va s’occuper des parents, mais elles s’y préparent doucement, sans en avoir réellement conscience. L’aide des proches aidants n’est pas encore réellement reconnue notamment dans le cadre professionnel.
Pourquoi faut-il sensibiliser les professionnels à cette problématique ?
Valérie Bergua : Lorsque l’on dit qu’elle n’est pas vraiment reconnue, on entend par là que probablement l’ensemble de la réalité des aidants n’est pas vraiment reconnu. Ce qui est reconnu, au niveau professionnel, c’est le fait que l’ensemble des professionnels, à partir de moment où ils exercent sur un territoire donné à quelque niveau que ce soit, rencontre des aidants, des problématiques d’aidance… Nécessairement, il y a une certaine reconnaissance. Il y a surtout, pour le professionnel, une nécessité de s’appuyer sur les aidants pour que le système fonctionne. On sait pertinemment que sans l’aide apportée par les aidants, les proches, de façon informelle, les prises en charge et les systèmes ne pourraient pas fonctionner. Il y a donc une reconnaissance mais est-ce que leur réalité et leurs problématiques sont reconnues ? Est-ce que nécessairement il y a un accompagnement qui leur est proposé ?
Pouvez-vous nous parler de la formation à distance « Technicien coordinateur de l’aide psychosociale à l’aidant », que vous souhaitez mettre en place ?
Valérie Bergua : La licence professionnelle a été créée en 2009 par Jean Bouisson à destination d’étudiants en formation initiale, mais aussi de professionnels en formation continue. Notre volonté, de par les collaborations et les recherches que l’on a pu avoir, c’est d’ouvrir cette licence à des professionnels d’autres pays qui rencontrent des problématiques similaires, notamment au Mexique et au Chili. Dans des pays qui ne sont pas développés comme les nôtres, avec des problématiques un peu différentes et pourtant qui se recoupent beaucoup. Ce que nous sommes en train de vivre, nous, depuis des décennies, d’autres le vivent peut-être maintenant et de façon importante. Donc le besoin de former des professionnels à l’accompagnement des proches aidants est majeur car toutes ces problématiques émergent, perdurent et évoluent.
Jean Bouisson : Est-ce que vous vous rendez compte que l’on connaît les aidants depuis des années, la souffrance, l’épuisement, etc., mais qu’il n’y a pas un seul métier qui leur était dédié ? Cela pose une grande question. Les métiers autour des aidants se développent mais très lentement alors que cela devrait être beaucoup plus valorisé. C’est ce qu’on développe dans l’aidance.
Propos recueillis par Victoire Teixeira | BERGUA V., BOUISSON J., Aidons les aidants, osons l’aidance, In Press. 2021 : 200 pages.
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Étudiante en communication, Victoire souhaitait mettre ses compétences acquises pendant ses études au profit d’une association.
Animatrice sociale en EHPAD, Amélie exerce aussi, en parallèle, le métier de rédactrice SEO. Proche aidante d’un parent, elle optimise les articles pour le web.