Comprendre et aider son enfant autiste
T’inquiète pas maman, ça va aller est le livre témoignage de l’actrice Hélène de Fougerolles. Elle y raconte avec émotion son singulier parcours de vie et les difficultés rencontrées pour mieux comprendre et aider son enfant autiste. Elle présente, avec une grande sincérité, le paradoxe entre la force qu’elle doit montrer en tant qu’actrice et la fragilité qui la caractérise.
Un portrait de famille atypique
Hélène de Fougerolles raconte dans son livre un bouleversant portrait de femme. D’abord, le sien, comme enfant bringuebalée d’école en école au fil des déplacements familiaux. Celui d’une jeune fille fragile dont la mère voyage au gré des amants. Celui ensuite, d’une actrice consciente très tôt que ses qualités reposent plus sur le désir qu’elle suscite que sur ses véritables compétences professionnelles. Elle surnage dans un univers dont elle ne saisit pas les codes. Parfois en proie à des tentatives de suicide et à des épisodes d’anorexie, elle fréquente le monde de la psychiatrie. Là-bas, elle conforte sa difficulté à comprendre ce qui est normal de ce qui ne l’est pas. Enfin, elle dépeint le portrait d’une mère, dont la fille Camille est atteinte d’autisme. Elle et son compagnon ne montrent pas d’emblée de solides dispositions parentales. Plutôt perdu entre le quotidien de l’accompagnement d’un bébé et celui de leur carrière professionnelle respective, le couple se sépare assez vite. Ils restent tout de même soudés dans leur rôle.
Camille, elle, ressemble davantage à un oisillon tombé d’un nid qu’à un bébé crapahutant avec détermination dans le nouveau monde. Elle ne regarde pas ses interlocuteurs et semble insensible aux sollicitations. Elle ne babille pas, elle peut rester apathique dans son berceau ou posée au sol sur de très longues périodes. C’est une « enfant bouddha », plaisante sa mère. Elle ne réclame rien ni lorsqu’elle a soif ni lorsqu’elle a faim. Peu de pleurs, peu de cris, pas de réactions, ni de joie ni de souffrance ; elle ne demande pas de contact humain. Ses parents sont bien conscients de ses particularités et tentent de les minimiser, sans doute pour se soutenir. Ils décident d’habiter près l’un de l’autre pour des raisons de commodités.
À 4 ans, Camille ne parle toujours pas. Surtout, elle ne montre pas d’intention de communication. Elle ne s’aventure pas dans les bacs à sable et reste sagement assise sur la pelouse près de sa mère. Les autres ne l’intéressent pas. Elle déteste avoir les mains sales, elle ne tient pas les feutres. Elle refuse tout ce qui peut la salir : la peinture, la pâte à modeler, la glaise. Enfiler des perles la stresse, les Lego ne l’attirent pas, car elle manque cruellement de tonus dans sa motricité fine. Coller des gommettes l’énerve, sauter à la corde semble inenvisageable sans tomber et jouer à cache-cache l’insécurise. « Elle ne réclame rien, elle est toujours bien. C’est une enfant facile et silencieuse. Une enfant de rêve… » (De Fougerolles, T’inquiète pas maman, ça va aller, 2022, p. 42)
« Moi non plus je ne rentrais pas dans les cases… Camille est la digne fille de sa mère, elle a carrément redoublé la crèche. » (De Fougerolles, 2022, p. 72)
Une succession de diagnostics culpabilisants
La famille décide de consulter après les injonctions répétées de l’école. La directrice a très tôt alerté l’ensemble de l’équipe éducative : l’enseignante, la psychologue scolaire, l’assistante sociale, une auxiliaire de vie… Commence alors un long parcours fait de bilans et de visites médicales chez différents spécialistes. Une longue errance diagnostique surtout.
Le pédiatre habituel se montre peu loquace sur Camille lors des consultations. Il conseille cependant une visite chez un ORL pour vérifier une possible surdité. Ce dernier annonce que la petite entend très bien, mais préconise par prudence la pose de yoyos… Sur les conseils de la directrice de l’école, un rendez-vous est également pris au Centre d’Action Médico Social Précoce. Le but : « rééduquer » Camille, dit-elle. La psychologue du CAMSP s’offusque que la fille soit sur les genoux de sa mère et exige qu’elle s’assoie à ses côtés. Elle juge insidieusement le lien coupable d’une mère trop présente qui refuse, dit-elle, d’imposer de la frustration à son enfant. Elle propose, pour conclure, un suivi de la mère afin de parler de sa jeunesse. Et pour Camille, une visite hebdomadaire à son cabinet, sur sa chaise. Des tests génétiques sont programmés pour éliminer quelques rares pathologies. Sont mises en place des consultations régulières chez un orthophoniste, un psychomotricien, un ergothérapeute et un pédopsychiatre référent. Ce ne sont que succession de tests hormonaux, d’IRM du cerveau, de radios, apportant leur lot de suspicions médicales anxiogènes. Camille ne rentre dans aucune case. Il reste alors les grands spécialistes.
Grâce à des relations, les temps d’attente passent d’un an à 9 mois. Une spécialiste du langage, peu bavarde cependant, avoue après une interminable lecture des bilans, qu’elle ne sait pas. Elle veut quand même revoir l’enfant dans un an. Un pédopsychiatre au teint glacé diagnostique sans aucune empathie, une pathologie qui engendrerait une psychose ou une schizophrénie à l’adolescence. Un neurologue sans fard annonce que Camille est « quasi foutue ». Les diagnostics tombent sans appel ni bienveillance.
Enfin, une orientation en Institut Médico Éducatif (IME) est conseillée. La directrice de l’IME demande si la famille est bien consciente du handicap de leur fille. Hélène de Fougerolles évitera de lui dire, par politesse, que Camille, à l’inverse d’elle, ne supporte pas d’avoir une veste tachée. Un autre directeur se répand en conjectures psychanalytiques, dressant le portrait idyllique de Bettelheim et de sa théorie de la « forteresse vide ». Culpabilisation dépassée des mères considérées comme froides, rejetantes, « frigidaires ».
« Ces troubles entraînent parfois à l’âge adulte un comportement psychotique avec des troubles de la personnalité. Voilà. Qu’est-ce que je fais avec ça ? Je suis censée rentrer chez moi préparer le dîner et faire couler le bain de Camille… » (De Fougerolles, 2022, p. 81-83)
Une nécessaire résilience pour mieux comprendre et aider son enfant autiste
Finalement, aucun directeur, aucun spécialiste, aucun gourou ne peut donner de réponse au problème de Camille. La médecine ne peut rien, les étoiles non plus, et la culpabilité nuit. Pour ne pas être anéantie, Hélène de Fougerolles jongle entre sa vie de mère et sa vie d’actrice. « J’ai la chance d’être comédienne, de devoir, par mon métier, à chaque fois que je joue, vivre d’autres vies, partir ailleurs… Mais le plus souvent, pour trouver la sincérité, je vais chercher les émotions bien réelles que je traverse dans ma vie avec Camille » (2022, p. 114). L’actrice apprend alors à trouver des réponses en elle. Elle décide de vivre avec sa fille les instants heureux du présent. Elle part en voyage, même si la petite préfère rester dans sa chambre avec sa tablette au lieu d’aller à la piscine de l’hôtel. Elle s’essaie à l’hypnose pour garder du recul en toutes circonstances. Elle admet désormais que sa fille est différente, et accepte ce qu’elle est et non ce qu’elle voudrait qu’elle soit. Camille est un soleil, toujours heureuse, toujours joyeuse. La lecture a une grande place dans la relation avec sa mère, comme les films, les spectacles et les histoires audio. Camille se réfugie dans un monde imaginaire et se crée des personnages fictifs avec lesquels elle vit.
Quelques signes positifs se présentent. Camille commence à pointer avec les doigts pour effectuer des demandes. Les enfants autistes pointent peu spontanément. C’est ce qu’on leur apprend dans les méthodes éducatives d’inspiration comportementalo-cognitives. Cela leur permet de communiquer et d’éviter la frustration de ne pas être compris. Il est fréquent alors, qu’un début de langage oral s’installe en appui au langage gestuel. Chez Camille, une langue existe donc déjà, c’est la langue des signes ! Commencent alors, grâce à l’achat de livres, des interactions entre Camille et sa mère. Les premières sont des « je t’aime », des signes en forme de cœur, des câlins avec le poing collé sur la joue.
Camille intègre finalement une classe ULIS (Unité Locale d’Inclusion Scolaire) dans un établissement de l’Île Saint-Louis. La maîtresse parle avec tendresse et affection à ces oisillons fragiles, même s’ils ne savent pas répondre à « 2 + 2 ». Puis Camille rejoint « l’École Plus » qui pourra la garder jusqu’à ses 15 ans, même si elle sait à peine lire et écrire. La relation mère/fille est émaillée de joie et de taquineries. Sans enjeux, sinon de voir la vie en Technicolor.
T’inquiète pas maman, ça va aller, raconte avec émotion les difficultés d’une mère pour comprendre et aider son enfant autiste. C’est une lecture salutaire pour ceux qui pensent que les propos cités par les professionnels de santé et d’éducation sont obsolètes. La loi du 11 février 2005, sur l’obligation de la scolarisation, était déjà en place au moment des faits relatés. Elle n’a toutefois pas empêché une directrice de rejeter une enfant de l’école, dès sa petite section. Cette loi reconnaît pourtant que ce sont les situations qui génèrent le handicap, par les empêchements qu’elles produisent, et non l’inverse. Ce témoignage est présent, à juste titre, pour rappeler qu’on ne se débarrasse pas des préjugés si aisément. Non dénué d’humour, il présente le handicap, non pas comme une chance, mais comme un atout supplémentaire. Si l’on daigne surtout le regarder autrement !
DE FOUGEROLLES Hélène, T’inquiète pas maman, ça va aller. Fayard. Paris : 2022, 246 pages.
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👉 Pour plus d’informations sur l’autisme, rendez-vous sur le site Autisme Info Service.
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Ancien aidant, enseignant et formateur sur le handicap à la retraite, Marc Chevallier met en lumière des livres, films, auteurs, réalisateurs… qui parlent de la cause des aidants.
Animatrice sociale en EHPAD, Amélie exerce aussi, en parallèle, le métier de rédactrice SEO. Proche aidante d’un parent, elle optimise les articles pour le web.