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Entretien avec Nicolas Porcher : « Mon père était atteint d’une aphasie primaire progressive »

Interview
9 février 2024
Nicolas Porcher © Marielle Aubé

Comment est né le projet du Prince à la tête de Coton ?

Le Prince à la tête de coton est une pièce qui s’inspire de l’histoire de ma propre famille. Mon père était atteint d’une aphasie primaire progressive, ou DLFT. C’est une maladie neurodégénérative rare qui mène à une détérioration graduelle de la connaissance des mots, de la syntaxe et de l’élocution. L’incapacité croissante de s’exprimer et de comprendre. Quand c’est arrivé, ma famille a fait ce qu’elle a pu.

Cette pièce est née de mon admiration pour ce qu’Alain Souchon appelle « les gens qui sont ce qu’ils peuvent ». Elle est la nécessité de transformer une expérience personnelle en expérience artistique. De créer une pièce qui aurait pu m’accompagner lorsque j’étais moi-même un jeune aidant. 

Avez-vous reçu de l’aide en tant qu’aidant ? Si oui, par qui et comment ?

Dans mon parcours d’aidant, j’ai avant tout été épaulé par ceux qui m’entouraient et qui vivaient la même chose que moi : ma mère et ma sœur. Mon père aussi a toujours été là, bien que ça semble contre-intuitif. Nous avions de plus de la famille et des amis qui prenaient le relai.

 

« Sans la maladie de mon père, je n’aurais probablement pas le même métier. »

 

Quel impact a eu cette situation sur votre vie ?

Je pense qu’être aidant à un âge où l’on se construit a un fort impact sur nos goûts, nos choix et nos envies pour le futur. Nous avons en tout accompagné mon père pendant une dizaine d’années.

Cet événement m’a donné envie de m’intéresser à la question du langage dans mes études musicales. Mais aussi de travailler comme animateur auprès de vacanciers polyhandicapés quand j’étais étudiant. Je suis également retourné vers la culture vietnamienne de mon père. Et j’ai écrit pour la première fois du théâtre. Sans la maladie de mon père, je n’aurais probablement pas le même métier, ni les mêmes amis, ni les mêmes centres d’intérêt.

Selon vous, quels sont les impacts positifs du parcours d’aidant ?

Chaque parcours d’aidant est individuel. Dans mon cas, je dirais que ma famille a solidifié ses liens. Aujourd’hui, avec ma mère et ma sœur, nous sommes plus unis que jamais.

Toutes les situations traversées en tant que jeune aidant, belles comme dures, drôles comme violentes, m’ont permis de devenir plus calme, plus compréhensif, plus empathique et plus tendre avec les autres.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune aidant ? NDLR En France, l’âge moyen des jeunes aidants est de 16,9 ans, mais la relation d’aide peut commencer plus tôt.

La question est vaste ! Il existe tellement de manières d’accompagner un proche. Par exemple, je n’ai jamais eu à apporter une aide administrative. Je me sens légitime pour dire juste une chose à un jeune aidant. Je lui dirais de bien s’entourer et surtout, autant que possible, ne pas s’oublier. Je lui dirais de rester vulnérable, de s’ouvrir à ses amis. D’oser avouer ses craintes, ses peurs, ses doutes.

Il n’y a aucune injonction à être Atlas, portant seul le monde sur ses épaules, loin de là ! Oui, je crois que je lui dirais cela. Ses sentiments sont aussi importants que ceux du proche qu’il accompagne.

 

« Je me suis posé beaucoup de questions, parfois violentes. Peut-on penser sans langage ? (…) Comment communiquer sans mots ? »

 

Vous abordez dans la pièce quelques considérations philosophiques traduites par Alexandre sur la perte du langage. Êtes-vous sensible aux problématiques de communication dans la relation d’aide ?

Bien sûr. J’y suis déjà sensible, car, de manière très prosaïque, la maladie de mon père avait la perte de langage comme symptôme. Donc adolescent, je me suis posé beaucoup de questions, parfois violentes. Peut-on penser sans langage ? Quelle différence entre un homme et un animal ? Comment communiquer sans mots ?

Au-delà de l’aphasie primaire progressive de mon père, la communication est fondamentale dans une relation d’aide. Comme dans toute relation, il faut parler, tout le temps. Ne rien laisser se nécroser ou s’abîmer à cause du silence.

Et dire ce qui va comme ce qui ne va pas : non seulement aux autres aidants, mais aussi à la personne que l’on accompagne. Si ce n’est plus avec les mots, alors il faut trouver autre chose. Pour communiquer et faire du lien. Toujours.