Aphasie et dislocation du langage en fin de vie

Placée dans un EHPAD dont les activités journalières sont « des insultes à la femme qu’elle a été », Michka travaille régulièrement avec son orthophoniste Julien qui l’entraine aux mots comme un athlète à l’exercice physique. Car « ça s’échappe », dit-elle avec ses habituelles confusions sémantiques qui ponctuent ses phrases où les néologismes transforment la polaire qu’elle recherche en « colère » qu’elle éprouve. 

Sa petite fille Marie lui rend souvent visite, mais depuis qu’elle est « cloche », ces rencontres se font plus rares pour préserver une grossesse fragile, son « étalage » actuel. Julien lui sert de confident, elle qui veut retrouver le couple qui l’a recueillie enfant pendant la guerre et qu’elle n’a pu remercier. Lui qui n’a plus de nouvelles de son père depuis longtemps. Entre Michka et Julien se noue une relation qui passe du thérapeutique à l’affectif, au filial.

Grâce à une fidèle adaptation du livre, Les Gratitudes offre aux spectateurs un moment d’une intense poésie ponctuée d’humour et drôleries. Catherine Hiegel, ancienne doyenne de la Comédie-Française au faîte de son art cultive un jeu subtil entre mélancolie et comique. Elle est secondée par Pascal Sangla, acteur et musicien compositeur et Laure Blatter. La musique joue un rôle essentiel dans la pièce, que ce soit pour en démontrer ses effets thérapeutiques ou pour jouer avec le public sur le registre de la mémoire et de la sensibilité partagée.

On ressort de cette pièce très ému, plus empathique et plus indulgent face à ceux dont le temps est compté et dont la privation des mots apporte la finitude.