Relation fraternelle et schizophrénie

L’immersion, pour mieux cerner les effets de la maladie

La schizophrénie est abordée du point de vue sensoriel. Le spectateur est invité à mettre un casque audio. Il est alors placé dans des situations semblables à celles que peuvent connaître les personnes malades. Le dispositif permet de ressentir :

• les déformations et perturbations sonores ;
• les difficultés pour capter les messages ;
• les pensées de chacun ;
• les reproches mutuels ;
• les différences ou, au contraire, ce qui relie les personnes atteintes avec leurs proches.

La difficulté de synchroniser ses sensations est exacerbée et permet de comprendre avec justesse les effets de la maladie.

Frédéric semble stabilisé malgré quelques moments de soliloques intensifs (le fait de se parler à soi-même). En abordant un processus créatif conjoint avec son frère, il décrit avec sincérité sa pathologie :

• l’impression d’être parfois plusieurs à dicter sa vie ;
• n’être qualifié que par la maladie : la schizophrénie ;
• « se sentir connecté avec le monde entier, mais être séparé de tout » (Alexis Armengol, Vu d’ici, 2023) ;
• le sentiment d’inspirer la crainte chez autrui ou celui constant de l’inutilité, de l’insignifiance.

Il dépeint également le quotidien des temps d’hospitalisation et la destruction d’une vie ponctuée d’écrasement médical. À cet effet, le spectateur écoute, en off, quelques paroles de Jean Oury, fondateur de la psychothérapie institutionnelle. Ce dernier témoigne du besoin de repenser le soin en plaçant le malade dans un processus de partage. L’intérêt étant qu’il retrouve une position valorisée, responsabilisée et désaliénée.

La communication, pour faire coexister relation fraternelle et schizophrénie

Une proche complicité relie les deux frères, chacun pouvant exprimer librement son ressenti. Cependant, Stéphane semble plus fragilisé, comme c’est souvent le cas pour ceux qui tiennent une place d’aidant. Investi depuis longtemps dans l’accompagnement de Frédéric, il montre ses faiblesses et se livre à des reproches. Un jeu de questions-réponses pour le podcast fait office de jeu de la vérité.

Frédéric, d’abord, « leur a volé leur mère », mais a aussi suscité une rancœur envers leurs parents qui n’y arrivaient pas. Il leur a également légué tous ces instants de tensions, où tous redoutaient ses crises. Imprévisible tout le temps, surtout dans les moments importants de sa vie : ses succès, la naissance de ses enfants, sa réussite professionnelle. Comme par hasard ! Grâce au diagnostic, Stéphane sait maintenant que c’est la maladie, la schizophrénie, qui agresse, et non son frère.

Faire un podcast permet de raconter une histoire à plusieurs, de ne pas être seul, l’indispensable principe pour comprendre avec moins de souffrance. Les proches sont les premiers témoins de la maladie, mais ne sont pas forcément ceux qui se connaissent le mieux. Ou du moins doivent-ils faire l’effort de communiquer pour demeurer dans cette bienveillance critique indispensable au partage. Les questions de l’un restent sans réponse ni justification de l’autre. Seuls l’amour et l’altérité sortent vainqueurs de l’épreuve de la réalité.

Vu d’ici offre au spectateur un moment d’une profonde émotion. D’abord en marchant conjointement avec ces deux individus fragilisés, s’efforçant de préserver leur relation fraternelle de la schizophrénie. Ensuite, grâce au dispositif sonore qui permet de prêter une oreille attentive aux problématiques de chacun et de leur dualité dans l’épreuve.