Les proches aidants pour les nuls : rencontre auteur
Le baromètre de la Fondation April recense en 2019 près de 11 millions d’aidants en France. Souvent dans l’ombre, ces aidants se sentent isolés et s’épuisent dans la gestion de tâches diverses qui leur incombent. Au cœur du système aidant/aidé, ils sont partagés entre de nombreux paradoxes. Comment donner le meilleur de soi-même sans oublier de penser à soi ? Comment ne pas s’abandonner sans abandonner l’autre ? Ai-je le droit d’avoir des moments de répit quand l’autre souffre sans répit ? Ce sont, entre autres, ces questions qu’aborde le livre Les proches aidants pour les nuls. Marina Al Rubaee a accepté de répondre à nos questions et nous en dire plus sur l’ouvrage qu’elle a coécrit avec Jean Ruch.
La première édition du livre « Les aidants familiaux pour les nuls » a obtenu le prix du meilleur guide en 2018. Il s’agit là de la deuxième édition dont le titre a été changé. Comment est né le projet initial de ce guide ?
Il s’agit vraiment d’un hasard. Avec Jean Ruch, coauteur du livre, nous nous sommes rencontrés lors d’un reportage que j’ai réalisé en 2013 sur les aidants. C’est lors de ce travail d’ailleurs, que j’ai découvert que j’étais aidante, sans le savoir, par le vécu et le ressenti partagés. Avec Jean, nous avons décidé de mettre à profit nos expériences communes et d’en faire un livre accessible au grand public. Un livre pratique où l’on peut condenser des ressources, des informations utiles et des témoignages. Nous avons proposé à l’éditeur un ouvrage qui, bien sûr, reste pratique, mais qui est assez personnel puisqu’il est aussi issu d’expériences respectives.
Vous abordez le fait qu’il faut s’occuper de soi en tant qu’aidant pour tenir le coup. C’est un sujet qu’on trouve assez peu dans la littérature.
Effectivement, et c’est un élément vital. Sur certaines plateformes comme Avec Nos Proches, on commence à aborder ce sujet. Comment voulez-vous continuer à accompagner un proche si vous n’avez plus de carburant, oserais-je dire. Les injonctions comme « Il n’y a qu’à faire ça », « faites comme ça », « soyez… » sont omniprésentes. Mais l’aidant n’est pas une machine à faire. Ce qu’on a souvent tendance à considérer comme tel. Notre bien-être est souvent laissé de côté. On n’a bien évidemment pas à se plaindre par rapport à l’autre. Et même si l’on a développé de grandes qualités d’accompagnement et d’approche humaine, on se grille vite physiquement et psychologiquement. La ligne rouge est souvent dépassée en quelques mois, voire quelques semaines parfois, en fonction des situations. On se sent alors anesthésié et le corps appelle un jour à l’aide. Il rappelle à l’ordre. Il existe des signaux qui font que vous n’arrivez plus à vous lever le matin, vous ne voyez plus vos amis, vous en oubliez vos motivations professionnelles. La relation de base (enfant/parent, par exemple) est dissoute dans l’aspect logistique. Je compare souvent la situation des aidants à des moments de guerre. Comme des combattants qui n’arrêtent jamais de se battre et qui restent sans cesse au front. Ou au marathonien qui va tourner à l’infini dans un stade devenu vide. On ne sait plus pourquoi on court. Dans le livre, nous avons voulu donner à comprendre la nature des relations aidant/aidé autant que les moments indispensables à la survie des aidants. Je pense qu’il existe des points de vigilance élémentaires pour mieux vivre cette situation.
« La confrontation aux autres nous amène à comprendre qu’il existe un vécu partagé et peut-être ainsi, d’en diminuer les effets négatifs. » — Marina Al Rubaee
Lorsqu’on s’est retrouvé dans cette situation d’aidant, on repense toujours aux moments de frottements. Ceux où l’on craque par épuisement, où nos paroles dépassent parfois nos pensées. Les liens d’amour avec l’aidé en pâtissent. Chacun est confronté aux limites de l’autre. Vous abordez en filigrane dans le livre, la complexité de cette relation aidant/aidé.
Ce n’est pas rien ce qu’on traverse. D’abord, on n’a pas choisi de devenir aidant. Cela arrive sans qu’on n’y soit préparé. Les injonctions sociétales et morales qui créent des difficultés supplémentaires, sont là pour vous le rappeler. Si les relations familiales ont été compliquées auparavant, un père maltraitant par exemple, ou simplement peu traitant, dois-je l’aider ? Dois-je sacrifier ma vie pour aider cet être qui ne m’a pas aimé comme j’aurais aimé l’être ? A-t-on le droit de ne pas aider ses parents ? Et comment supporter le « comment oses-tu te comporter ainsi ? » dans le jugement des autres ? « Il t’a donné la vie, tu lui dois bien ça ». Flavie Flament, animatrice chez RTL, qui nous a interviewés en 2017, nous signalait qu’elle culpabilisait de ne pouvoir aider sa mère dépendante comme elle l’aurait souhaité. (N.B. Flavie Flament raconte dans son livre La consolation comment sa mère fermait les yeux sur les viols qu’elle a subis en la livrant à David Hamilton pour des séances photo.)
La culpabilité est inhérente à la fonction d’aidant. Est-ce que j’en fais assez ? Comment offrir le meilleur ? « Les proches aidants pour les nuls » est assez pédagogique dans le sens où l’on peut y trouver des aides pour se bâtir une posture. C’est pourquoi le livre aborde également le thème : « Quel aidant voulez-vous être ? ».
J’ai une voisine qui récemment, me demandait si elle était aidante puisqu’elle aidait sa voisine tous les jours. Lui rendant visite pour la conversation, l’aidant dans quelques tâches administratives ou lui faisant quelques courses. Ce qui justifie le changement du titre de l’ouvrage. On se rend compte qu’avec le temps, les aidants ne s’occupent pas que de leur sphère familiale. Il y a les amis, les voisins, les proches, cela représente 17 % des aides au quotidien. On a recensé également près de 70 000 jeunes aidants dont l’âge est inférieur à 30 ans. Mais les chiffres sont à mon sens sous-estimés. Il s’agit d’un véritable problème de société qui ne devrait que croître au regard du vieillissement de la population.
Dans l’ordre des choses, ce n’est pas à un enfant de s’occuper de ses parents handicapés ou malades. C’est une réalité qui n’est pas visible. Cela a une incidence sur leur vie future. Des associations citées dans le livre proposent des séjours ou des moments de répit. L’association Jade, précurseuse dans ce domaine, offre par exemple des temps de partage autour de créations de supports cinématographiques encadrés par des professionnels. L’objectif étant de rassembler les enfants autour d’un média pour qu’ils puissent mettre en image leur vécu et prendre de la distance tout en rencontrant des jeunes avec lesquels parler. Le collectif permet d’aider même s’il ne peut pas tout. Cela m’a aidé personnellement dans mon parcours d’accompagnante de mes parents sourds. La confrontation aux autres nous amène à comprendre qu’il existe un vécu partagé et peut être ainsi d’en diminuer les effets négatifs. Je ne suis pas seule dans ce cas, mes difficultés se reflètent dans celles des autres, cela les rend plus acceptables.
« On se rend compte qu’avec le temps, les aidants ne s’occupent donc pas que de leur sphère familiale. Il y a les amis, les voisins, les proches… » – Marina Al Rubaee
Vous abordez l’idée qu’en étant aidant, on développe des compétences transversales qui peuvent être des atouts pour les entreprises. Quel que soit le poste envisagé. Pouvez-vous développer ?
Il s’agit des compétences douces, ou intelligences relationnelles traduites par le terme « soft skills ». Après des ruptures importantes dans la vie professionnelle, il est souvent difficile de retrouver une énergie constructive. Mais le temps consacré à accompagner est propice à construire de nouvelles capacités. Il s’agit alors de témoigner, par exemple pour un entretien d’embauche, ce que la fonction d’aidant a permis d’acquérir. Être capable de se projeter, avoir développé une capacité d’anticipation, être capable de gérer des plannings ou des rendez-vous, avoir la capacité de prendre des décisions et savoir gérer les moments de stress… Il s’agit ainsi d’avoir les mots qui permettent d’aller au-delà des préjugés sur les aidants, uniquement cantonnés dans leur sphère domestique. Rassurer les employeurs sur l’embauche de personnes qui ne sont pas simplement affaiblies par leur vie privée est un enjeu de taille. Être aidant n’oblige pas non plus à se limiter aux métiers des soins. On essaye de valoriser dans le livre, ce qu’apporte le statut d’aidant, sans en nier les difficultés ni les parcours chaotiques. Notre but est avant tout de permettre de poser sur soi un nouveau regard positif, et éviter une fatalité réductrice.
Un chapitre est consacré aux dispositions légales mises à jour, aux dispositifs de congés possibles. Votre livre se termine sur des touches plus légères : les 10 conseils, les 10 chansons de soutien, et les 10 commandements de l’aidant.
La recherche d’information est très chronophage. J’ai passé beaucoup de temps dans ma vie à en effectuer. De souvenir, j’ai trouvé beaucoup d’aide dans les journaux comme Femme Actuelle ou Maxi qui sont axés davantage sur le quotidien. Nous avons voulu dans notre livre développer un aspect facilitant les recherches d’informations utiles. Au-delà de la vision réaliste du statut d’aidant, nous avons également voulu teinter le propos d’optimisme et d’espérance. Quoi de mieux que quelques simples conseils avisés ?
Les proches aidants pour les nuls aborde bien évidemment tout le travail silencieux inhérent à la posture d’aidant en donnant les informations utiles sur les aides et les ressources diverses. Mais il souligne aussi les aspects psychologiques et les fragilités auxquelles ces derniers peuvent être confrontés. Car au-delà des aides financières et logistiques recensées dans le livre, être aidant implique aussi de tenir sur la durée, d’accepter les ambivalences des ressentis et d’être capable parfois de supporter l’insupportable. Parsemé de témoignages et de liens indispensables, l’ouvrage réussit à proposer une lecture simple et utile et la justesse du propos témoigne d’une réelle connaissance des auteurs.
Propos recueillis par Marc Chevallier | AL RUBAEE Marina, RUCH Jean, Les proches aidants pour les nuls. First. Paris : 2021, 264 pages.
👉 Sur le même thème, découvrez aussi notre entretien avec les auteurs du livre Aidons les aidants, osons l’Aidance.
👉 Retrouvez plus d’informations et de solutions localisées pour les aidants sur le site Centr’aider.
👉 Cet article vous a plu ? Partagez-le sur les réseaux sociaux !
Ancien aidant, enseignant et formateur sur le handicap à la retraite, Marc Chevallier met en lumière des livres, films, auteurs, réalisateurs… qui parlent de la cause des aidants.
Animatrice sociale en EHPAD, Amélie exerce aussi, en parallèle, le métier de rédactrice SEO. Proche aidante d’un parent, elle optimise les articles pour le web.