S’adapter en famille au handicap d’un enfant

Mettre en lumière le rôle d’enfant aidant

Trop calme par rapport aux 2 aînés, le regard de l’enfant semble vide et son corps n’est pas tonique. Il interroge vite la famille, qui consulte. Le diagnostic médical est sans appel et laisse peu de chances d’une vie au-delà de 3 ans. Il ne parlera ni ne marchera et n’aura que l’ouïe pour sensation. Contraint au silence, il prend dès lors une place retentissante dans la vie de la fratrie.

Le lecteur ne connaît pas le nom des personnages. Chacun est désigné selon son rôle : le père, la mère, l’aîné, la cadette, le dernier. Cela permet de mieux s’identifier aux héros de cette tragédie intemporelle qui se joue. Car ces enfants sont des héros dont la puissance des sentiments est évoquée dans chaque fait, souvent anodin. Il en va de même dans chaque émotion et dans le chemin emprunté pour s’adapter au contexte. L’enfant aspire toutes les forces de ses proches. Celles des parents qui affrontent la situation, ou celles du frère qui fusionne en aimant « la primaire candeur » de l’enfant. Il est le lien qui unit la famille, mais aussi celui qui les sépare du reste du monde.

Comme dans un conte, ce sont les pierres de la cour qui rapportent l’histoire de ces enfants dans les chapitres consacrés à chacun. « C’est eux que nous souhaitons raconter. Enchâssées dans le mur, nous surplombons leurs vies » (Dupont-Monod, S’adapter, 2021, p. 12). Grâce à une écriture délicate, l’auteur plonge le lecteur dans la psyché de ces enfants, sans tomber dans la compassion ni le pathos. Ils montrent chacun une incroyable lucidité qui force l’admiration. Les épreuves font grandir plus vite en maturité.

Se positionner et s’adapter en famille au handicap d’un enfant

L’aîné décide de se consacrer à l’enfant, lui témoignant un amour exclusif quasi maternel. Il lui raconte la vie avec patience et abnégation. Les arbres qui poussent sur les rochers, le clapotis de l’eau dans les flaques de pluie et les nuances de couleur des Cévennes. Lui qui n’avait jamais autant parlé à quelqu’un. L’aîné a depuis grandi sans se lier. Sans doute a-t-il compris que « les gens qu’on aime peuvent disparaître si facilement… En lui, quelque chose est devenu pierre » (Dupont-Monod, 2021, p. 63).

La cadette souffre de l’ambivalence de ses sentiments. Elle fait face à ce corps inerte qui la plonge tantôt dans le dégoût, tantôt dans la peine, la rage, la culpabilité. « S’il fallait tenir le coup pour tranquilliser sa famille, elle tiendrait le cap… Elle apprit l’indifférence en étant dévorée de larmes, à jouer l’insouciante à table, à rester sourde dans la cour du lycée » (Dupont-Monod, 2021, p. 113). Sa seule défense pour crier l’injustice est de muer son désespoir en dureté. L’enfant lui a pris son frère, ses parents, et son cœur a été arraché. Elle changera sa colère en force pour les sauver malgré eux.

Suite au décès de l’enfant, le dernier de la fratrie porte tout le poids de la Renaissance sur les épaules. Il est celui à qui le père apprend patiemment à consolider les brèches des murs de pierres qui les séparent de la rue. Ces pierres juxtaposées qui constituent les murs sans ciment et qui tiennent simplement par leur imbrication. Le dernier, c’est celui qui excelle à l’école, mais dont seule l’histoire passionne. Il sait qu’il avance en portant l’ombre de l’enfant défunt, il a vite compris qu’il est le nouveau départ. Mais qu’il incarne aussi la continuité de la fracture d’une fratrie traversée par le chagrin.

Dans ce roman tiré d’une histoire personnelle, Clara Dupont-Monod raconte la vie des très jeunes aidants avec réalisme, justesse et poésie. Elle témoigne de la difficulté de devoir s’adapter dans une famille avec un enfant handicapé, quand on n’est pas adulte soi-même. Également, de leur singularité et de la force qu’une telle expérience apporte dans leur développement.