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L’accompagnement d’un père mourant

Conseils lecture
12 mai 2021

 

Dans Ici-bas, Pierre Guerci, raconte l’accompagnement d’un père mourant, hospitalisé à domicile lors des derniers mois de sa vie. L’auteur nous livre une partie de son histoire personnelle au travers de cette fiction. Ses mots couvrent les grandes questions qui se posent sur la vieillesse, la maladie et la mort, sans entrer dans des propos consensuels.

L’identification aux personnages

Ici-bas bouleverse le lecteur tant par le partage des émotions ressenties que par les identifications possibles avec les personnages.

Tout d’abord, il y a le fils, polytechnicien, si jeune et qui n’a jamais vécu dans la maison paternelle. Il avoue son équilibre fragile entre sa pulsion de vie et celle de mort.

Ensuite vient le père, ancien médecin, dont le visage affiche parfois « une fixité bovine » (Guerci, 2021, p. 100). Le fils semble « y voir de temps en temps une poignante esthétique de la résignation » (Guerci, 2021, p. 44).

Puis arrive la sœur Sylvie, docteure elle aussi, dont le sourire tentaculaire la rend omniprésente lors de ses visites intrusives. C’est celle qui « s’occupe de tout, sauf de la merde » (Guerci, 2021, p. 110).

Apparaît le frère Stéphane, médecin également, qui prône le droit de mourir dans la dignité. Il ne supporte pas la vue de son père.

Enfin, la dernière sœur, Anne-Marie, la rebelle de la famille était considérée jadis comme une idiote. Par contestation sans doute, elle a évité les études traditionnelles de médecine. Du haut de ses fonctions de naturopathe, kinésiologue et praticienne de reiki, elle affiche une « tambouille spirituelle fourre-tout » (Guerci, 2021, p. 130). Elle se noie dans son nombril en mal d’humanité.

« La mort appartient d’abord à ceux qui restent, elle aura de toute manière le dernier mot malgré “l’imbécile résistance du corps”. » (Guerci, 2021, p. 29).

Le quotidien de l’accompagnement d’un père mourant

Dans Ici-bas résonne le quotidien de l’accompagnant. C’est celui qui cumule les fonctions d’aide-soignant, d’infirmier, de fils. Celui aussi qui aide à tuer le temps, réel paradoxe lorsqu’on attend la mort, et qui se révèle comme le facilitateur excrémentiel. Celui enfin, qui maîtrise la chaise percée, les langes, l’aspirateur à humus, le coussin anti-escarres, l’évacuation des glaires, la becquée, la gelée hydratante…

Une mémoire olfactive se dégage du livre, celle qui reste à tout jamais et rejaillit des ténèbres lorsqu’on croyait l’avoir oubliée. Quiconque a déjà été dans cette posture d’aidant et peut aisément s’y retrouver.

Malgré un réalisme d’une apparente froideur, Pierre Guerci nous rappelle ces moments d’accompagnement qui oscillent entre le désespoir et la joie. La bouffonnerie développée des aidants évite de voir la mort dans les yeux du vieillard.

La complicité renaît entre le père et le fils lors des matchs de football de la coupe du monde. La télé, qui regarde davantage qu’elle est regardée, permet alors quelques instants de bonheur partagés qui ponctuent les temps de silence pesant. Le père est présent. Présent à la douleur, à la lucidité, à la joie des glaces délicatement posées par son fils sur le bout de la langue. Présent aussi à la piqûre quasi insensible d’Annick, l’infirmière préférée, avec qui il partage, sans avouer sa souffrance, la seringue quotidienne.

« De la même manière qu’ils [cf. les parents] ont accompagné nos premiers pas, ils nous guident dans les derniers. » (Guerci, 2021, p. 173).

La mort à distance

Pierre Guerci nous entraîne avec sa jeunesse dans « le tempo larghissimo de l’extrême vieillesse » (Guerci, 2021, p. 67). Les protagonistes sont partagés entre les sentiments contradictoires qu’amène cette situation. Ils oscillent entre la maîtrise et l’abandon, la pitié et la haine, mais aussi entre des pulsions de frivolité et le sérieux exigé.

Dans notre époque, où nous tenons la mort à distance, l’auteur nous invite à repousser la peur inévitable qu’elle produit. Car « au fond, nous sommes si démunis face à la circonstance que nous n’avons d’autre choix que de la nier » (Guerci, 2021, p. 157). Puisque chacun sera touché, dit-il, peut-on se rassurer en voyant nos parents nous y précéder. Ils nous apprennent à mourir. Une fois parti, son père avait repris sa place de père « après avoir été quelque temps mon enfant » (Guerci, 2021, p. 174). Face au jeunisme ambiant, Pierre Guerci nous propose de regarder la mort en face en nous réconfortant d’abord : on fait ce qu’on peut dans l’accompagnement.

 

Ici-bas est un livre choc qui ne laisse pas indifférent, le style est percutant, ciselé, direct, le langage est souvent cru. Pierre Guerci livre sans fard ce que représente l’accompagnement d’un père mourant. L’auteur nous somme d’être présents, car ne pas accompagner les mourants crée des fantômes. Puis il nous invite enfin : « Vivez ! »

GUERCI Pierre, Ici-bas, Gallimard. Paris : 2021, 208 pages.

👉 Poursuivez votre lecture avec notre interview de l’auteur.

👉 Pour plus d’informations sur la fin de vie, rendez-vous sur le site du Centre National de la fin de vie et des soins palliatifs.

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