Le pansement Schubert : rencontre auteur
Musicothérapeute, Claire Oppert intervient auprès de malades avec son violoncelle. Elle est également l’auteur du livre Le pansement Schubert, dans lequel elle relate son expérience. Pour Avec Nos Proches, elle a accepté de répondre à quelques questions à propos de son travail et de l’ouvrage.
Pensez-vous que le violoncelle a une part prépondérante dans votre travail de musicothérapeute ? Si oui, pourquoi cet instrument ?
Le violoncelle est l’instrument le plus proche de la voix humaine. C’est aussi un instrument très « vibratoire ». Les patients en ressentent intensément les vibrations, les décrivent comme pénétrant le sol, traversant leur corps, des pieds jusqu’en haut de la tête, en passant par leur cœur. Sa tessiture est très large, allant des sons graves les plus profonds jusqu’à des aigus comparables au chant des oiseaux.
Pourquoi privilégier la musique vivante au chevet et non celle enregistrée ? Le contact entre deux personnes est-il indispensable ?
Lorsque je joue dans une chambre, le son de mon violoncelle traverse les murs et va même dans les autres chambres. C’est ma visite qui est annoncée en quelque sorte. La musique est créée au moment même où elle est reçue. Elle n’est jamais la même. Elle est capable de s’adapter en temps réel à toute demande de répertoire. Je peux en changer instantanément, en modifier la mélodie, l’harmonie, le rythme, le volume, l’intensité, le tempo aussi. Et c’est donc cet élément d’adaptabilité permanente de la musique vivante qui est une des compétences les plus intéressantes de la violoncelliste soignante que je suis.
Le disque, lui, est toujours le même, aussi merveilleux soit-il. Il y a aussi la présence du musicien, les échanges autour de la musique, les regards. Et puis certains patients sont fascinés en regardant les doigts courir sur la touche de l’instrument, d’autres veulent le toucher. En fait, la présence est absolument irremplaçable. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’action ou de bénéfices lorsque la musique est enregistrée. Lors du premier confinement, les équipes soignantes m’ont demandé d’envoyer des enregistrements. Il y a eu beaucoup d’effets positifs sur les patients au cours des soins, selon les soignants. Mais, mon expérience des plus de 2000 malades rencontrés à ce jour, me confirme qu’il n’y a pas de commune mesure entre la musique enregistrée et la musique vivante.
Jean-Marie Gomas qui était à la soirée salle Gaveau autour du Pansement Schubert, le 9 novembre 2021, dit qu’il est très simple et peu coûteux de financer l’achat d’un poste pour chaque chambre dans les services de soins. L’impact est également très positif sur les soignants. Stéphane Guetin, musicothérapeute et directeur de MUSIC CARE, a conçu ce qu’il appelle « un modèle en U ». C’est un concept de musiques préenregistrées à la fois motivantes, apaisantes, puis stimulantes avec différents styles afin de s’adapter à chaque patient. Car pour Jean-Marie Gomas, il est vrai qu’avec mon violoncelle, je ne peux voir que 20 patients environ par semaine, Stéphane Guetin peut en atteindre des centaines, en formant des soignants à sa méthode.
(N. B. Jean Marie Gomas est un ancien médecin généraliste, praticien hospitalier, spécialiste et enseignant universitaire en éthique médicale, gériatrie. Il a été pendant 30 ans un des animateurs les plus engagés du mouvement des soins palliatifs en France.)
« Lors du premier confinement, les équipes soignantes m’ont demandé d’envoyer des enregistrements. Il y a eu beaucoup d’effets positifs sur les patients au cours des soins. » – Claire Oppert
Pouvez-vous développer le concept de « sons amis » que l’on retrouve dans votre ouvrage ?
Si les sons sont perçus comme des « sons amis », c’est parce qu’ils entrent en résonance avec l’affectivité profonde du patient.
Existe-t-il des « sons ennemis » ? Avez-vous rencontré des patients pour lesquels les sons les convoquent à de l’insupportable ?
Je n’ai jamais entendu parler de « sons ennemis ». La musique peut cependant mettre en résonance des émotions qui ne sont pas positives. Je pense notamment à une patiente qui était une rescapée de la Shoah. Elle associait les sons à des événements traumatiques vécus au-delà du « verbalisable ». Elle ne voulait pas que j’induise cette réactivation de souvenirs.
Pour Milan Kundera (écrivain tchèque), certaines musiques comme le rock, le métal, peuvent générer des comportements agressifs, des comportements barbares parfois même. Ces musiques, écrit-il, amplifient les battements cardiaques pour que l’homme n’oublie pas sa marche vers la mort. Je n’ai pas cette expérience, même en m’aventurant parfois dans le répertoire « métal », car ma pratique s’adapte aux besoins thérapeutiques avec des objectifs précis et en contournant ce qui peut faire ressortir l’inconfort ou la douleur. Je peux arrêter de jouer, diminuer mon volume, changer mon répertoire ou tout simplement prendre le relais avec la parole ou le chant. Ou parfois simplement le silence. Je me souviens de cette patiente qui refusant une proposition de musique m’a dit, au bout de quelques minutes de conversation, que nous étions en train de faire de la musique avec nos échanges de mots et leur harmonie subtile.
La musicothérapie peut-elle s’adapter à tout public ?
Je pense que oui. C’est la façon dont on oriente le travail qui change. Pour tout public oui, mais pas forcément pour tous. Chez les jeunes atteints de troubles autistiques, certains par exemple ne semblent pas sensibles à la musique. La musicothérapie est utilisée dans de nombreux domaines, en néonatalité, en pédiatrie, en gériatrie ou en soins palliatifs, en s’adaptant aux patients concernés, également auprès des personnes atteintes de déficiences physiques, sensorielles ou intellectuelles, de troubles scolaires ou alimentaires, de troubles du comportement, du langage, de la relation, de la communication. Les personnes en proie aux addictions, à l’anxiété, au stress, au burn-out, à la dépression, à l’isolement. Également celles atteintes de pathologies mentales ou psychiques, de polyhandicap, de maladies chroniques…
Pour rebondir sur le sujet de l’autisme, vous avez eu la chance de travailler avec Howard Buten. Savez-vous comment il était considéré en tant que thérapeute par ses confrères ?
J’ai passé six ans avec lui dans son Centre de jour pour jeunes autistes à Saint-Denis, mais je ne pourrais pas vous répondre précisément. Il pouvait sembler provocateur et transgressif. J’imagine qu’il y a eu des gens qui n’ont pas adhéré à son discours et à ses méthodes, car c’était un personnage si singulier, qui disait que ses trois professions, écrivain, clown et psychologue ne s’interpénétraient pas. Finalement, je pense qu’il était d’abord un artiste profondément dans son être et que son approche laissait une grande part à l’intuition.
Je raconte dans mon livre à quel point il ne voulait pas que j’étudie quoi que ce soit sur l’autisme. En me le faisant promettre, jurer même à haute voix. Car il avait la certitude que mon intuition avec les jeunes autistes était plus sûre que toutes les théories. Il y a eu tant de moments où il a perçu des choses pendant les séances musicales que moi je ne percevais pas toujours d’emblée. Ou que je n’étais pas capable de verbaliser. Il voulait que je ne lise rien sur l’autisme, mais lui-même avait lu beaucoup. C’est un être de paradoxe. Il disait que « l’autisme, on n’en sait rien. » Il aimait beaucoup répéter cela, mais il en savait beaucoup. Il voulait montrer d’abord la nécessité de ce « retournement du regard », pour se mettre à la hauteur des jeunes autistes « et mériter leur attention ». Il ne se présentait pas comme le sachant absolu. Mais il voulait se rendre suffisamment intéressant à leurs yeux. Il disait qu’il fallait faire de notre regard une maison dont la porte leur serait ouverte et les couleurs seraient celles qu’ils ont choisies. Je pense que je pratiquais intuitivement avec mon violoncelle ses méthodes sans le savoir, notamment l’imitation/empathie dans le domaine sonore.
« Elle [cf. la musique] diminue le taux des hormones liées au stress, elle libère les endorphines, la dopamine qui a des propriétés analgésiques, euphorisantes et calmantes. » – Claire Oppert
Les effets de la musique sont nombreux sur les symptômes de l’autisme. Que pensez-vous des recommandations de la H.A.S. qui préconise davantage les méthodes cognitivo-comportementales ?
Howard Buten critiquait énormément toute la culpabilité inhérente aux premières explications de l’origine de l’autisme qui a régné pendant si longtemps. Culpabilité démentie heureusement, depuis de nombreuses années, mais qui est encore très présente dans la réalité du vécu des parents. Je pense que dans l’inconscient collectif, il y a encore une énorme culpabilité. En fait, la créativité d’Howard Buten ne se situait pas uniquement au niveau purement artistique, mais d’abord dans son rapport aux choses. Et justement les méthodes comportementalistes, il les pratiquait tous les jours, mais d’une façon hautement créative. Il était anti-méthode, car trop singulier et avait sa propre méthode, son chemin vers les autistes. Je raconte dans mon livre qu’un jour en rentrant du centre où l’on s’était fait défoncer le visage — j’avais failli moi-même me faire crever les yeux et l’on m’avait tapé le ventre alors que j’étais enceinte — il m’avait dit dans le métro : « Tu ne trouves pas qu’ils ont l’air bizarres ? ». En fait, il parlait des gens dans le métro, pas des autistes. Il avait un esprit très original. Il était parfois très intransigeant aussi.
La pratique de la musicothérapie souffre-t-elle d’un manque d’études chiffrées ?
Il y a eu un rapport relativement récent de l’OMS, en 2020, qui a répertorié 900 études qui mettent en lien la musique et le soin. Ce ne sont pas forcément des études « double aveugle randomisées » (N. B. Démarche expérimentale utilisée pour éviter que la personne malade, le médecin et le personnel soignant ne soient influencés par une opinion et se basent sur des faits uniquement), mais elles sont variées et montrent la diminution du ressenti de la douleur, de son intensité, la diminution de la tension artérielle, des effets secondaires des traitements des chimios, etc. Ce qui est intéressant, c’est que la neuro-imagerie commence à nous montrer quelles zones du cerveau sont sollicitées lors de l’écoute ou de la pratique de la musique. La musique remet en relation les 2 hémisphères en réactivant le corps calleux par exemple. Elle diminue le taux des hormones liées au stress, elle libère les endorphines, la dopamine qui a des propriétés analgésiques, euphorisantes et calmantes. Il semblerait que la musique sollicite un traitement neuronal complet. Les neurosciences montrent ce qui se passe réellement dans notre cerveau… Car le monde a tant besoin de preuves. Le Professeur Aron dit que la musicothérapie est une discipline d’avant-garde aux antécédents millénaires.
On n’a rien inventé. À ma mesure avec Le pansement Schubert, j’ai tenté de montrer que les difficultés méthodologiques ne doivent pas être des blocages à la pratique. Il est bien compliqué et non éthique de mettre des électrodes à des patients en fin de vie. On ne peut donc pas tout quantifier. Une des idées que je développe dans mes études et dans mon livre, c’est que la subjectivité est un moteur de soin. L’aspect émotif n’est pas un biais méthodologique et, bien que difficilement quantifiable, il peut devenir le garant de l’amélioration du soin. Donc oui, on peut quantifier la diminution de la douleur grâce à la musique avec des échelles de douleurs validées, mais avec certaines difficultés méthodologiques. Je crois qu’il y a en France, une certaine résistance à tout ce qui échappe à la quantification. Je reprends à mon compte l’expression du poète René CHAR « Le poète doit laisser des traces et non des preuves ». Le pansement Schubert se situe entre la trace et la preuve. Lorsqu’on travaille avec l’art, il faut défendre cette part de mystère qui nous échappe.
Propos recueillis par Marc Chevallier | OPPERT Claire, Le pansement Schubert. Denoël. Paris : 2020, 208 pages.
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👉 Pour en savoir plus sur la musicothérapie, rendez-vous sur le site de la Société Française de Musicothérapie.
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Ancien aidant, enseignant et formateur sur le handicap à la retraite, Marc Chevallier met en lumière des livres, films, auteurs, réalisateurs… qui parlent de la cause des aidants.
Animatrice sociale en EHPAD, Amélie exerce aussi, en parallèle, le métier de rédactrice SEO. Proche aidante d’un parent, elle optimise les articles pour le web.