Les pouvoirs de la musique
Lors d’un passage dans un EHPAD parisien, la violoncelliste entend une patiente démente, Mme Kessler qui hurle. Pendant le changement de son pansement sur une plaie purulente, elle crie, elle mord, et tape les deux infirmières qui tentent de la soigner. Claire Oppert entre alors dans la salle pendant que les soignantes la maintiennent fermement afin qu’elle ne tombe pas de son fauteuil. Elle s’assied près d’elle et entame l’andante du Trio op.100 de Schubert.
Claire Oppert
Éditions Denoël
LA MUSIQUE : Une vocation précoce
À 14 ans, Claire Oppert affronte le public lors de son premier récital de violoncelle à l’hôtel de Noailles à Paris. À l’issue du concert, paniquée par une erreur technique qu’elle pense avoir commise, Claire Oppert voit s’approcher une femme au teint très pâle qui lui dit : » Si vous aviez été médecin, j’aurai été guérie « . Sans doute naquit alors chez Claire Oppert sa passion précoce pour l’art thérapie.
Une passion familiale
Lorsque le père de Claire Oppert consulte, médecin et pianiste, il lui arrive d’être très souvent en retard. Et lorsqu’il arrive chez ses patients dans la soirée, il se met au piano et interprète un nocturne de Chopin souvent le n°20 en mi bémol majeur. « Puis il referme délicatement le couvercle du piano, met son chapeau toujours trop petit, pour prendre congé. Docteur, dit le malade, vous ne m’avez pas ausculté ? Et lui de répondre tout naturellement : ça va beaucoup mieux, on se verra la semaine prochaine » (p 25).
C’est cet » appel à la vie » que Claire Oppert continuera à développer. Jusqu’à sa contribution au protocole thérapeutique expérimenté avec l’aide du docteur Jean-Marie Gomas à l’hôpital Sainte-Perrine dans le 16 ème arrondissement de Paris : le pansement Schubert.
» Il faudra absolument revenir pour le pansement Schubert. «
L’entrée de la musique en EHPAD.
Lors d’un passage dans un EHPAD parisien, la violoncelliste Claire Oppert entend une patiente démente, Mme Kessler qui hurle. Pendant le changement de son pansement sur une plaie purulente, elle crie, elle mord, et tape les deux infirmières qui tentent de la soigner. Claire Oppert entre alors dans la salle pendant que les soignantes la maintiennent fermement afin qu’elle ne tombe pas de son fauteuil. Claire Oppert s’assied près d’elle et entame l’andante du Trio op.100 de Schubert. Quelques petites secondes plus tard, Mme Kessler se détend et donne calmement son bras aux infirmières. Le soin peut alors s’effectuer dans la sérénité. La contention est alors inutile. « Les cris cessent, le calme revient dans la pièce. Je peux observer alors son visage, regard étonné, et à ses lèvres une ébauche de sourire » (p 10). Les soignantes sourient également. Elles proposent que Claire Oppert revienne pour » le pansement Schubert « .
Naissance du pansement Schubert.
Le concept est né. Plusieurs fois dans la semaine Claire Oppert reviendra pour jouer Bach, Mozart, Beethoven, Brahms avec Mme Kessler… Puis d’autres résidents. À l’évidence, la musique offre un soulagement radical qui influe sur les patients. Mais également sur les soignants qui appréhendent différemment l’administration des soins délicats.
» 10 minutes de Schubert, moins 5mg d’Oxynorm* »
Un an plus tard, suite à de nombreuses interventions musicales, un protocole voit le jour sur plus d’une centaine de patients en soins palliatifs à l’hôpital Sainte Perrine. Les pouvoirs de la musique sont multiples. Cathartiques pour cette résidente dont les larmes nettoient le quotidien. Une femme paraplégique bat la mesure avec le seul gros orteil encore capable d’une relation sur Carmen de Bizet. La musique vient chercher la sensorialité avant la raison, qui souvent a disparu chez ces patients. Les doigts et les pieds des patients plongés en coma profond sortent quelques instants de leur silence abyssal. Une femme en fauteuil roulant se met à danser sur son fauteuil…
* Antalgique apparenté à la morphine indiqué dans le traitement des douleurs cancéreuses sévères (p 11).
» Je ne suis plus malade «
M.Koumba, un ancien boxeur professionnel atteint d’une maladie neuro dégénérative réclame un air de Piaf. Lui qui a connu Marcel Cerdan replonge dans ces souvenirs à l’écoute du violoncelle. » Ca me fait remonter le passé, dit-il. Garder espoir. Ne pas lâcher. Continuer à ses battre. Je sens la vie. La vie jusqu’au bout « (p 118). De ses grosses mains d’athlète, le corps lourd et totalement inerte, M.kouma bat la mesure. « Non, je ne regrette rien » de la môme Piaf. Il respire difficilement et porte un masque à oxygène. « Quand vous jouez du violoncelle, je ne me sens plus malade… Non, se reprend-il, ce n’est pas ça : quand vous jouez, je ne suis plus malade. Je sens en moi la joie et la vie « (p 117.)
L’auteure raconte dans son ouvrage quelques vignettes cliniques sur tous ces patients en souffrance. Elle ponctue chacune de ces descriptions humaines par un poème illustratif. Madame Müller avoue ne plus avoir peur de la mort dans cette mer de « sons-amis » (p 121). La patiente est toujours souriante malgré son cancer en phase terminale. L’adagio d’Albinoni la sort de l’indifférent silence des jours. Les sons-amis viennent la chercher dans des endroits secrets parsemés de cris intérieurs.
Une » portée » des êtres en souffrance.
Claire Oppert a également accompagné de jeunes autistes dans le Centre Adam Shelton, un Institut Médico Educatif (IME) à Saint-Denis. Sa rencontre avec Howard Buten*, le directeur de projet dans l’établissement est traduite dans son livre. Il fut, malgré lui, à l’origine de son diplôme d’art thérapeute violoniste. Les sons-amis viennent aussi résonner chez les jeunes autistes en mal de relations. Quelques-uns s’ouvrent davantage, tentent une ébauche de communication. D’autres osent même jouer devant du public. À leur manière souvent. Ils écrivent leurs bizarreries sur la portée que leur offre la musique.
*Howard Buten, psychologue spécialisé dans l’autisme, écrivain, clown, fondateur du Centre Adam Shelton. » Quand j’avais 5 ans je m’ai tué « Seuil collection Points virgule.
La chaleur et la douceur pour soulager les souffrances
Quelques scientifiques y verront une intuition utile mais insuffisante. Mais la lecture des poignants témoignages confèrent qu’un soulagement réel peut s’effectuer dans l’accompagnement musical. Les protocoles montrent chiffres à l’appui qu’une diminution de la douleur de 10 à 50 % peut se constater. Il y a également un impact massif sur les soignants. Car la musique a cette capacité à atténuer les douleurs. C’est aussi une résistance poétique qui apporte la chaleur et la douceur nécessaires lorsque la vie se réduit aux souffrances. La musique n’adoucit donc pas que les mœurs.
Rédaction Marc Chevallier