« S’adapter » de Clara Dupont-Monod
« Un jour, dans une famille, est né un enfant inadapté » p 9
Dans la région des Cévennes, une famille voit son existence bouleversée par la naissance d’un enfant inadapté. Bébé trop calme par rapport aux 2 aînés, il montre rapidement de l’indifférence aux choses, son regard semble vide et son corps n’est pas tonique. Il interroge vite la famille qui consulte. Le diagnostic médical est sans appel et laisse peu de chances d’une vie au-delà de 3 ans. Il ne parlera ni ne marchera et n’aura que l’ouïe pour seule sensation. Contraint au silence, l’enfant prend dès lors une place retentissante dans le vécu des 3 enfants : le frère aîné protecteur, la sœur cadette écorchée de survie et le dernier puîné qui portant l’ombre de ce frère omniprésent « ne serait sans doute pas né si l’enfant n’était pas mort » p136.
« Les enfants sont toujours les oubliés d’une histoire.» p 12
Comme dans un conte pour enfants, ce sont les pierres bavardes de la cour qui témoignent de l’histoire de ces 3 enfants dans les chapitres consacrés à chacun. « C’est eux que nous souhaitons raconter. Enchâssées dans le mur, nous surplombons leurs vie » p 12. Le lecteur ne connait pas le nom des personnages et chacun est nommé selon sa place : le père, la mère, l’aîné, la cadette, le dernier. Nous permettant ainsi de mieux nous identifier aux héros de cette tragédie intemporelle qui se joue. Car ces enfants sont des héros dont la force des sentiments est évoquée dans chaque fait, souvent anodin, dans chaque émotion et dans le chemin emprunté pour s’adapter à la situation. L’enfant aspire toutes les forces de la famille. Celles des parents qui affrontent la situation ou celles du frère qui fusionne en aimant « la primaire candeur » de l’enfant. Il est le lien qui unie la famille mais aussi celui qui les sépare du reste du monde.
« Son cœur se couvrit d’une pellicule de gel » p 108
Grâce à une écriture délicate, Clara Dupont-Monod plonge le lecteur dans la psyché de ces enfants, sans jamais tomber dans la compassion ni le pathos. Ils montrent chacun une incroyable lucidité qui force l’admiration. Les épreuves font toujours grandir plus vite en maturité. L’aîné décide de se consacrer à l‘enfant, lui témoignant un amour exclusif quasi maternel. Lui racontant la vie avec patience et abnégation, les arbres qui poussent sur les pierres, le clapotis de l’eau dans les flaques de pluie, les nuances de couleur des Cévennes, l’écoute des paysages. Lui qui n’avait jamais autant parlé à quelqu’un. L’aîné a depuis grandi sans se lier. Sans doute a t-il compris que « les gens qu’on aime peuvent disparaitre si facilement… En lui quelque chose est devenue pierre » p 63.
La cadette souffre de l’ambivalence de ses sentiments face à ce corps inerte qui la plonge tantôt dans le dégout, tantôt dans la peine, la rage, la culpabilité. « S’il fallait tenir le coup pour tranquilliser sa famille, elle tiendrait le cap… Elle apprit l’indifférence en étant dévorée de larmes, à jouer l’insouciante à table, à rester sourde dans la cour du lycée » p 113. N’ayant comme seule défense pour crier l’injustice que de muer son désespoir en une âpre dureté. L’enfant lui a pris son frère, ses parents et son cœur a été arraché. Elle changera sa colère en force pour les sauver malgré eux.
« Cette ombre ourlait la vie » p 126
Suite au décès de l’enfant, le dernier de la fratrie porte tout le poids de la Renaissance sur les épaules. Il est celui à qui le père apprend patiemment à consolider les brèches des murs de pierres sèches qui les séparent de la rue de l’école. Ces pierres juxtaposées qui constituent les murs sans ciment et qui tiennent simplement par leur imbrication. Le dernier, c’est celui « qui perce l’épaisseur des êtres si facilement » p 138, celui qui excelle à l’école mais dont seule l’histoire passionne. Il sait qu’il avance en portant l’ombre de l’enfant défunt, il a vite compris qu’il est le nouveau départ. Mais qu’il incarne aussi la continuité de la fracture d’une fratrie traversée par le chagrin. Dans ce roman tiré d’une histoire personnelle, Clara Dupont Monod raconte la vie des enfants aidants avec réalisme, justesse et poésie. Elle témoigne de la force de leur singularité qui crée cette fréquente inadaptation au monde de ceux qui sont condamner à s’adapter.
Marc Chevallier